GRÂCE DES CONDAMNÉS

GRÂCE DES CONDAMNÉS
GRÂCE DES CONDAMNÉS

GRÂCE DES CONDAMNÉS

La grâce est un vieux reliquat du principe suivant lequel toute justice émane du souverain. Concédant la justice, la déléguant, le monarque pouvait à tout moment, sous l’Ancien Régime, soit se saisir d’une affaire, soit modifier la sentence déjà prononcée par l’une quelconque des juridictions concessionnaires. Les pouvoirs réguliers du souverain ont tous disparu avec la Révolution de 1789, à l’exception du droit de grâce qui, après une courte période de suppression, fut rétabli par un sénatus-consulte du 16 thermidor an X. Le droit de grâce pourrait donc être aujourd’hui défini comme le dernier attribut régalien du chef de l’État par lequel celui-ci dispense un condamné d’effectuer tout ou partie de sa peine exécutoire ou commue cette dernière en une peine plus douce. On a beaucoup critiqué l’institution de la grâce. Celle-ci porterait atteinte tout d’abord à la séparation des pouvoirs en permettant une ingérence de l’exécutif à la fois dans le domaine du législatif, qui a prévu une sanction pour telle infraction et risque de la voir éludée, et dans le domaine du judiciaire, qui est entré en condamnation mais risque de voir sa décision comme non avenue. La grâce serait de plus devenue aujourd’hui inutile puisque le sursis, la libération conditionnelle, les circonstances atténuantes quant au judiciaire, l’amnistie quant au législatif jouent déjà le même rôle. La grâce a cependant une utilité certaine: en cas d’erreur judiciaire, elle permet de libérer le condamné sans attendre la décision consécutive à une procédure de révision la plupart du temps fort longue. Elle encourage la bonne conduite et l’amendement d’un individu condamné à une forte peine (réclusion criminelle à perpétuité, par exemple). Elle permet au juge de prononcer une sanction sévère car il sait que celle-ci ne sera pas forcément irrémédiable. Enfin, dans un système qui admettait la peine de mort, la grâce pouvait apparaître comme une institution régulatrice de cette dernière. De plus, il n’est pas vrai que le droit de grâce fasse double emploi avec les institutions citées par ses adversaires: la grâce a un domaine plus large que la libération conditionnelle, différent des circonstances atténuantes et du sursis. Alors que l’amnistie, d’origine essentiellement législative, efface la condamnation en éteignant la peine, la grâce procède à l’extinction de la peine sans effacement de la condamnation.

La grâce ne s’applique que si un certain nombre de conditions de fond et de forme sont réunies: quant aux premières, la grâce suppose une condamnation définitive et exécutoire. Échappent donc au recours en grâce les condamnations qui peuvent encore faire l’objet d’une voie de recours, les condamnations subies, les condamnations avec sursis ou encore prononcées par contumace, les peines atteintes par la prescription, les dommages-intérêts, les condamnations aux frais et dépens et peut-être les sanctions disciplinaires. Quant aux conditions de forme, le recours en grâce émane du condamné ou de son défenseur, ou de toute personne pouvant justifier d’un intérêt; formulé sur papier libre, il est adressé au président de la République accompagné de toutes justifications utiles. Le procureur de la République ou le procureur général (suivant la juridiction qui a prononcé la condamnation) instruit l’affaire puis la remet au ministère de la Justice où le directeur des affaires criminelles et des grâces l’examine. Le dossier est ensuite transmis aux ministres intéressés, s’il y en a, au Conseil supérieur de la magistrature, enfin au président de la République qui l’examine et prend seul sa décision. Celle-ci est matérialisée par un décret signé par le président de la République, contresigné par le Premier ministre, le ministre de la Justice et les ministres éventuellement intéressés. La grâce n’a pas de valeur juridictionnelle; elle appartient à la catégorie des actes de gouvernement et n’est donc susceptible d’aucun recours. La fiche du casier judiciaire n’est pas détruite, la condamnation compte pour la récidive et fait obstacle au sursis. Les peines accessoires ou complémentaires non visées par le décret de grâce subsistent si elles ne sont pas inséparables de la peine principale.

Il existe deux sortes de grâces: la grâce ordinaire, la grâce amnistiante. La grâce ordinaire peut tout d’abord être simple: la peine disparaît totalement ou partiellement, suivant les motifs du décret. Elle peut être conditionnelle, ce qui la rapproche du sursis: par exemple, subordonnée à la non-fréquentation de certains lieux, au paiement de la pension alimentaire, ou à l’absence de condamnation pendant une période de cinq ans. Si l’individu gracié manque à cette obligation, le décret de grâce est considéré comme caduc. Quand il y a commutation de peine — troisième forme que peut revêtir la grâce simple —, le président de la République décrète que le condamné devra subir la peine immédiatement inférieure, dans la même échelle de peines; il ne peut toutefois transformer une condamnation politique en condamnation de droit commun ou vice versa. La grâce amnistiante est une institution qui tient à la fois de la grâce et de l’amnistie. Son domaine s’est peu à peu étendu depuis la loi du 3 mars 1879 où elle fut appliquée aux Communards de 1871 et elle est aujourd’hui applicable à toutes infractions politiques, militaires ou de droit commun. Intervenant dans le cours d’une procédure, elle éteint l’action publique; intervenant après la condamnation définitive, elle efface la condamnation. On admet parfois qu’elle puisse même intervenir après la purgation de la peine. Dans la pratique, la loi parle d’admission par décret au bénéfice de l’amnistie. N’exigeant pas un décret de grâce, la loi autorise le Premier ministre à prendre un simple décret; celui-ci est donc attaquable devant le Conseil d’État, et sa légalité peut être discutée par toutes les juridictions saisies. Notons cependant que, sous la Ve République, les lois ont conservé la formule «admission par décret au bénéfice de l’amnistie» mais en ont réservé la faculté au président de la République.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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